Je viens de regarder avec un grand intérêt la conférence donnée
par Jean-Claude Guédon
au séminaire d'Alembert le 14 décembre dernier.
Suite à cela, je me pose la question suivante, peut-être naïve:
La recherche a-t-elle encore besoins de revues ?
Je m''explique. J'accueillerai volontiers les remarques pour me corriger.
Il me semble que la raison d'être des revues est d'assurer la diffusion
de résultats validés par les pairs, et ce dans la communauté scientifique principalement.
Dans le processus actuel basé sur les revues, les chercheurs ne publient
pas. Ils soumettent un article à une revue qui juge cet article. C'est la
revue qui effectue l'acte de publication, c'est-à-dire qu'elle rend public
l'article. Elle agit comme un filtre pour ne mettre sur la place publique
que les articles corrects et apportant quelque chose de nouveau.
Les chercheurs publient cependant eux-mêmes par exemple lorsqu'ils mettent
leurs travaux dans les archives ouvertes, typiquement avant de soumettre à
une revue, pour protéger leurs résultats. Ces publications ne sont pourtant
pas considérées comme telles pour les évaluations des chercheurs
car non soumises à un comité de lecture.
Il y a donc deux actions différentes:
la critique par les pairs d'une part,
la publication d'autre part. Cependant, je ne vois pas pourquoi la
publication devrait être dépendante du résultat de la critique. En effet,
la publication, par le chercheur lui-même, d'un article sur la place
publique lui permettrait de le soumettre directement à la critique de ses
pairs.
Les revues ne seraient-elles pas un héritage d'un temps où la diffusion
était plus compliquée ? Il fallait centraliser la production sous forme
papier des articles à diffuser et donc se restreindre quant à leur nombre. De
plus, les échanges publics entre chercheurs éparpillés étaient plus longs
et leur diffusion publique passait elle aussi par une forme imprimée, donc
centralisée.
Internet a changé la donne car n'importe quel chercheur peut
critiquer le travail d'un autre et rendre publique sa critique, elle-même
pouvant être critiquée, dans un processus que J.-C. Guédon appelle "la grande
discussion scientifique", pleine d'argumentations, de réfutations, ...
Par ailleurs, tout au long de son exposé, il m'a semblé que les problèmes
venaient principalement du système des revues: facteur d'impact, réputation
des revues, triches pour maintenir les revues en tête des classements,
évaluation des chercheurs basées sur les revues dans lesquelles ils
publient, réduction du champ de la recherche aux problèmes intéressant
les revues les plus en vue, ...
Je pense donc qu'une autre organisation est possible, notamment grâce aux
outils de web sémantique, permettant à chacun de publier des
contenus mais aussi des relations entre les contenus.
On peut donc maintenant imaginer que chaque chercheur publie dans son
espace ses articles, qu'il signale ses nouvelles publications à ses pairs
et que certains en fassent la critique. Critique que chaque pair peut
publier à son tour et lier à l'article original pour signaler qu'il s'agit
d'une critique de l'article en question.
Le sens, la sémantique des relations permet aux moteurs d'indexation et de
recherche de pouvoir trouver qui a critiqué tel article, suivre les
discussions liées à un article, référencer un article depuis un autre, etc.
Le tout aboutissant à une forme de réseau décentralisé des publications
scientifiques, qui peut être adossé à une sorte de réseau social des
chercheurs pour faciliter les communications.
J'espère que je suis assez clair. Dans un tel système (qui n'est pas
parfait), le goulot des revues disparaît, la transparence des critiques et
la publication d'un article avant critique pouvant être sources de
responsabilisation.
Il est en effet facile de nos jours de se défausser de
la responsabilité d'un article incorrect par le fait qu'il a été accepté
par le comité éditorial d'une revue qui a choisi de le publier. Comme
l'indique J.-C. Guédon, nombre d'articles incorrects sont en ce moment
retirés de revues prestigieuses.
Remarque: le logiciel libre fonctionne lui déjà sur le mode de publication
avant critique. Il a existé des sortes de revues pour les logiciels libres
quand internet n'était pas encore très répandu. Ces revues distribuaient
les logiciels libres sous forme de CD, elles assuraient donc aussi un
filtrage et une publication. Ce type de diffusion a pratiquement disparu au
fur et à mesure qu'internet est devenu accessible à tous. Etrangement, le
système des revues scientifiques se maintient. Il est vrai que l'exigence
de correction n'est pas la même, mais tout de même: un logiciel incorrect
ne sera pas utilisé très longtemps par la communauté, de même qu'un article
incorrect.
Cette relation entre la science et le nouvel espace de publication
offert par le numérique était évoquée par Bernard Stiegler dans l'émission
Les retours du dimanche
du 1er janvier 2012 où il parle de "recherche contributive" et dit que
"La science, c'est du peer-to-peer" (à partir de la 42ème minute).
Ajout le 09/03/2012::
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