Dimanche dernier, j'ai connu un quart d'heure de joie, entre
la fin du dépouillement à la mairie et le retour à la maison.
Le candidat de la France Insoumise est arrivé en tête devant
la candidate du Front National. D'une voix,
mais devant.
Un quart d'heure plus tard, les réseaux sociaux et les
médias étrangers douchaient mon enthousiasme: Macron et Le Pen
arrivaient en tête, Mélenchon derrière, et pas que d'une voix.
Ainsi a commencé cette soirée, la même qu'en 2012 mais en pire.
Je n'avais aucune attente de Hollande, dont la continuation
du programme de Sarkozy faisait peu de doute. Mais au moins
le Front National était éliminé.
Ce dimanche, les émotions étaient à la hauteur des espérances
de la campagne. Bon, très bon score pour le programme de la
France Insoumise. Mais pas assez bon pour le mode de scrutin
de la présidentielle. La déception d'abord, donc. Nous verrons
la suite aux législatives.
Rapidement, d'autres sentiments prennent le dessus.
Colère, frustration, dégoût. Contre les médias dominants qui ont
largement soutenu Macron,
déroulé le tapis rouge au Front National
tout en
faisant campagne contre Mélenchon. Contre ceux qui votent
pour la poursuite du néo-libéralisme destructeur en
croyant voter pour un «renouveau».
Après tant d'espoirs de jours heureux, sentir l'avenir se refermer
si brutalement est douloureux. «Qu'ils aillents tous se faire voir!»,
«Ils veulent aller dans le mur ? Eh bien tant pis pour eux !» sont
les pensées qui viennent, parce qu'il faut bien se protéger, parce
qu'on ne veut plus rien à voir à faire avec eux. Et
puis aussi «Ah quoi bon?» quand la lassitude m'envahit. A ce
moment c'est ma douleur et ma déception
qui parlent.
Le dégoût revient encore quand sur les plateaux montent les chœurs
entonnant le refrain du «Front républicain», le fameux
«barrage au FN», etc. Ceux qui l'entonnent sont en grande partie ceux
qui ont mené à cette situation et se permettent maintenant de donner
des leçons de civisme. Un dégoût bien exprimé dans
ce billet.
Pendant ce temps-là sur Twitter, le mot-dièse
#SansMoiLe7Mai
apparaît et c'est depuis un déluge d'appels à voter blanc ou s'abstenir
et renvoyer dos à dos les fascismes libéral et xénophobe,
arguant qu'il n'y a pas à « choisir entre la haine des pauvres et la haine
de tout ce qui n'est pas blanc et chrétien ».
Il est bien sûr tentant et tellement plus facile de tout envoyer
bouler, surtout sous l'effet de la déception et du dégoût. Ca l'est
surtout dans le confort de ma blanchitude, celle qui fait que je
n'ai jamais été contrôlé ou inquiété pour ma couleur de peau ou
ma potentielle religion.
Oui, ce serait facile de laisser faire, de m'en laver les mains.
J'ai lutté contre la loi travail, aucun des deux candidats restant
ne l'a remise en cause. Le Pen n'est pas plus l'ennemi du MEDEF que
Macron. Alors qu'est-ce que ça change que ce soit l'un ou l'autre ?
A ce point, il faut se souvenir pour quoi on vote, en tout cas
quand on est «de gauche», si on entend par là «toujours être du côté des
opprimés»1. On ne vote par pour son petit bonheur à
soi, on vote pour le bonheur de tous. Pour la liberté de tous,
pour l'égalité de tous, c'est la fraternité. Pour la sécurité de tous
aussi, donc.
Le programme de la France Insoumise se nomme «L'avenir en commun».
En commun, c'est ensemble, cela rejoint cette idée de vote pour
ce qui est bon pour tous. L'idée de commun est ici à prendre dans
le sens d'une commune humanité, tous dans le même bâteau, d'où
l'importante accordée à l'écologie et en direction d'une justice
sociale.
Evidemment, ce n'est pas le programme annoncé de Macron et Le Pen,
prônant compétition entre tous et sélection au faciès, à la religion, à la «race».
Mais il y a tout de même une différence, et elle est de taille:
Le premier veut une société basée sur des valeurs qu'on peut contester,
la deuxième remet en cause le principe même de commune humanité,
c'est-à-dire
rejette une partie de la population pour ce qu'elle est.
Il n'y a
donc pas de possibilité d'un avenir en commun dans la vision
du Front National.
Evidemment, quand on adhère au programme de la France Insoumise,
celui de Macron donne juste envie de vomir. Mais il reste humain,
au sens que même s'il discrimine selon des valeurs qui ne sont pas
celles de gauche, il ne fait pas de distinction entre êtres humains
pour ce qu'ils sont.
D'autre part, nous ne pouvons pas dire que nous ne connaissons
pas les dangers d'un Front National au pouvoir: brutalité, arbitraire,
répression. Il n'est qu'à voir les membres de ce parti et leur
passé pour avoir une idée de leurs méthodes.
La démocratie sous Macron n'est pas vraiment la démocratie rêvée non
plus puisqu'elle s'annonce dans la ligne du quinquennat de Hollande:
médias relayant l'idéologie au lieu d'informer le citoyen,
répression de manifestations, etc. C'est «normal» pour une oligarchie
qui veut conserver sa position dominante. Mais nous pourrons encore
nous exprimer. Nous pourrons encore combattre et continuer de rassembler.
Voilà pourquoi il me semble qu'il est incompatible d'avoir voté
par conviction pour le programme «L'avenir en commun» et de laisser
la moindre chance au Front National de remporter cette élection ou
les suivantes. Ce n'est pas à soi qu'il faut penser, c'est aux autres,
à tous ceux qui deviendraient immédiatement la cible du pouvoir
si Marine Le Pen venait à être élue.
Se dire «de gauche» ou «insoumis» ne suffit pas.
Je voterai donc Macron par fraternité avec toute cette commune humanité,
mais ça ne suffira pas. Nous devons voter Macron
pour conserver les conditons de continuer notre combat pour nos valeurs.
Et ça ne suffira pas, mais ça nous donnera un peu de temps pour
continuer d'expliquer, de convaincre comme nous l'avons fait pendant
cette belle campagne. Le combat continue.